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Interview d'Expert

L’art du pitch commercial

Elaborer le meilleur des pitchs pour remporter des comptes qui se chiffrent à plusieurs milliards d’euros : c’est parfois le challenge de certains hauts profils sales. Ils se présentent devant des géants économiques tels que des fonds souverains ou des investisseurs institutionnels, et ont pour objectif de les séduire en quelques minutes avec une présentation percutante et convaincante. Dans un contexte où la concurrence est record, le droit à l’erreur n’existe plus ; surtout, cela devient très risqué de s’entrainer sur ses prospects !

 

Accompagner des profils commerciaux à ce niveau et les aider à préparer ces présentations à fort enjeu, c’est ce que fait aujourd’hui Andrés Hoyos-Gomez, un ancien Partner de McKinsey & Co.

Il a partagé avec Upward Sales quelques précieux conseils pour élaborer « la présentation qui marche ».

Andrés Hoyos-Gomez entrepreneur ex-Partner McKinsey & Co

Pour un Directeur Grand Compte, que ce soit au sein d'une grosse structure ou d'une start-up, l'enjeu reste le même : se démarquer.

Andrés Hoyos-Gomez

Entrepreneur | Ex Partner McKinsey

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Andrés, pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Il était une fois un garçon 100% arabica, 100% colombien… Je suis né en Colombie de parents colombiens, et j’ai grandi avec un rêve : venir étudier en France et devenir un citoyen du monde. Mais pour ça, il fallait que je sois au top et ce fut le début d’une course d’obstacles : décrocher une bourse d’études pour rentrer en classe prépa, intégrer une des meilleures écoles – ce fut l’ESSEC, pour ensuite décrocher un poste dans un cabinet prestigieux – ce fut Arthur Andersen, mon « service militaire » d’entreprise. J’ai ensuite voulu intégrer un cabinet encore plus prestigieux – ce fut McKinsey, que j’ai rejoint en 2000, pour ensuite passer Manager et être élu Partner (2007). En 2010 j’étais devenu le leader de la practice « Business Technology » en France (re-brandée depuis en Digital McKinsey), et membre du leadership Européen dans mes domaines d’expertise et secteurs d’appartenance (banking, asset management, consumer goods)

En 2013, je passe le cap de mes 40 ans et je vois se profiler un tournant de carrière quand je me cogne à la grande quête de sens : j’ai fini par trouver du sens dans le café, les bonnes conversations et l’entrepreneuriat. Je suis alors devenu torréfacteur de café, avec l’envie de rapprocher les consommateurs des fermiers, de réduire le chemin du grain à la tasse et d’avoir une traçabilité ethnique et humaine.

En parallèle, j’ai conservé mon muscle conseil et notamment le storytelling. J’ai aujourd’hui une activité de conseil indépendant pour accompagner des entrepreneurs, des dirigeants ou des directeurs commerciaux grands comptes à préparer leurs présentations à fort enjeu.

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Vous accompagnez des Directeurs de grands comptes dans la préparation de présentations à fort enjeu. Quel est leur besoin ? Quel est l’enjeu principal pour une Direction de grands comptes qui fait appel à un support externe ?

L’essentiel, c’est de se démarquer.

Lorsque qu’une direction de grand compte fait appel à moi, il y a typiquement deux types de questionnements :

  1. « Nous avons un super produit, mais on a de plus en plus besoin de mettre en face des clients des profils davantage techniques (par exemple, les gestionnaires de portefeuille en asset management ou des spécialistes solution dans la tech). Or, ces profils davantage techniques ne sont pas des « grands communicants», et on a du mal à faire ressortir toute notre valeur ajoutée. Comment peut-on mieux faire ressortir nos points forts ? »
  2. « Notre pitch est trop polissé, trop « corporate », trop standard et tous nos concurrents racontent peu ou prou la même chose. Comment mieux adapter nos pitchs à chaque occasion tout en gardant une ligne de communication cohérente ? Comment rendre nos pitchs plus vivants, plus ‘sexy’, tout en restant solides et ‘pro’ sur les contenus ?»

S’agissant d’enjeux commerciaux, je travaille typiquement non pas une personne isolée mais plutôt avec une équipe. Cela peut représenter de 10 à 25 personnes, c’est par exemple la taille d’équipe classique pour une expertise ou solution grand compte chez un asset manager ou un éditeur d’ERP.

L’intérêt d’intervenir auprès d’une équipe est de trouver le meilleur des deux mondes entre deux impératifs en apparence contradictoires : d’une part, que chaque pitch soit présenté de façon unique par le commercial, et d’autre part, que chaque pitch soit aligné avec la proposition de valeur et l’identité de l’équipe et de la marque au global. Des problèmes se posent lorsque les équipes penchent trop vers l’un de ces deux impératifs : soit chaque commercial ou chargé de relation présente à sa façon, et du coup l’expérience client peut devenir trop hétérogène, voire en contradiction avec l’identité de la marque ; soit tous les commerciaux présentent de la même façon, et du coup le discours devient aseptisé, le client sent bien qu’on lui sert le « pitch corporate » sans regard à ses besoins spécifiques.

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Est-ce que l’enjeu est le même pour un directeur grand compte d’une grande structure versus une start-up à fort potentiel ?

Oui, l’enjeu reste en fait le même : se démarquer.

D’autant plus que grands groupes et start-ups se retrouvent de plus en plus en concurrence frontale. Le marché des grands comptes ne se joue plus uniquement entre les grands groupes.  Les start-ups se font une place croissante, elles viennent bousculer les équilibres de sorte qu’il n’y a plus de « chasses gardées ». Le cas des néo-banques est d’ailleurs un exemple qui illustre plutôt bien le fait que la concurrence peut venir même dans des secteurs que l’on aurait pu croire réservés aux grandes structures établies.

Si je prends le cas des acteurs financiers (asset managers) ou de la tech (ERP, CRM, Data Analytics…), l’importance de remporter un compte clé ou de le conserver sur le long terme se chiffre en millions voire dans certains cas en milliards d’euros.

Ces forts enjeux sont donc les mêmes pour grands groupes et start-ups, et appellent une préparation sur mesure, avec des présentations percutantes et différenciantes.

business development en conseil

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Comment en tant que commercial, devient-il possible de se démarquer de ses concurrents sur des présentations à très fort enjeu ? Sur quels axes travaillez-vous avec les commerciaux ?

Les pitchs commerciaux qui ne se démarquent pas sont typiquement trop longs, trop génériques, et trop écrits. La recette de « la présentation qui marche » a évolué ; celle qui fonctionnait il y a 10-15 ans n’est plus en phase avec la réalité d’aujourd’hui.

Trop longs : Il faut aller droit au but. Il fut un temps où la configuration classique c’était une présentation assez longue, pendant laquelle le commercial faisait étalage des valeurs, des solutions, des compétences de l’entreprise pendant que le prospect attendait patiemment la fin pour poser ses questions. Aujourd’hui, on attend d’un.e commercial.e qu’elle ou il nous présente efficacement une solution ou une démarche au problème pertinent pour nous. 30-45’ de pitch sur 30-50 slides, c’est beaucoup trop long.
J’accompagne du coup les équipes sur des versions courtes, typiquement 1-2 minutes, 5-7 minutes, 15-20 minutes étant le grand maximum, et à savoir présenter sans les slides.

Trop écrits : La présentation c’est un ensemble de contenus et de forme (rationnel et irrationnel) qui ne sont pas dissociables. Trop de personnes ont tendance à oublier que les slides sont un support de la présentation, et pas le contraire ! Sinon, il suffirait d’envoyer un document en format PDF esthétique, carré et explicite avec une voix enregistrée dessus. Beaucoup de personnes pensent qu’elles sont prêtes à pitcher lorsque les slides sont prêtes, et non pas lorsqu’elles ont suffisamment répété “en live” y compris le Q&A. Une présentation, ce n’est pas des slides, c’est l’échange qui se déroule lorsque des personnes se rencontrent, c’est une conversation. Je travaille essentiellement sur l’oralité, alliée de la concision pour aboutir à des messages simples, francs, directs, vivants et qui invitent davantage à l’échange.

Trop génériques : Un petit test que j’aime bien faire, je demande aux équipes commerciales : « Imaginons que l’on change la charte graphique dans vos slides. Et on remplace le logo et le nom de votre marque par le logo et la marque d’un concurrent… est-ce que le texte de la présentation change ? » Dans un même secteur, trop d’équipes promettent la même chose, on voit pratiquement les mêmes slides (l’organigramme avec les experts de plus de 15-20ans d’expérience, les process de gestion, les solutions ‘orientées client’…)

Avez-vous croisé des affirmations du type “we provide a high quality consumer centric approach to deliver the best quality with a sustainable mindset and efficient results… ». C’est là que l’on a envie de dire “ So what ? » ; en d’autres termes, qu’est-ce qu’on a vraiment à se dire aujourd’hui ?

Je pousse les équipes vers un état d’esprit dans lequel chaque présentation est unique. La même présentation faite pour deux prospects différents, c’est en fait deux présentations différentes. La même présentation faite par deux commerciaux différents pour le même client, c’est en fait deux présentations différentes.

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Pourtant, faire des pitches est le métier de base des équipes commerciales. Est-ce que du coup vous accompagnez en priorité des équipes qui présentent des faiblesses sur des compétences commerciales basiques ?

Bien au contraire ! Ce sont souvent les vrais “bons” qui sont conscients qu’ils peuvent et doivent s’améliorer en permanence. J’accompagne les profils qui s’élèvent professionnellement « from good to great ». Et d’ailleurs, les commerciaux qui considèrent qu’ils n’ont plus rien à apprendre sont souvent moins bons qu’ils ne le pensent, et l’inverse existe aussi.

Lorsque je travaille avec des responsables commerciaux, on travaille les compétences de pitch, non pas comme des compétences communication mais comme compétences business et comme une pratique sportive de haut niveau. Faire briller l’expertise, c’est un enjeu business. C’est le nerf de la guerre. Et dans le sport de haut niveau, on valorise l’entrainement : se préparer, aller sur le terrain, debriefer, analyser, se préparer, retourner sur le terrain etc. Les sportifs de plus haut niveau sont aussi ceux qui s’entrainent le plus en dehors de la compétition et ceux qui analysent le mieux ce qui s’est passé à chaque épreuve. Et donc de la même manière, les équipes qui profitent le plus de mon accompagnement sont celles qui s’investissent dans l’entrainement pour maintenir et améliorer leurs performances.

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Et dans ce contexte, qu’apportez-vous ? Comment se déroulent les séances ?

Le secret le mieux gardé d’un bon pitching, c’est la préparation. La mécanique de la pratique nous fait nous améliorer. Steve Jobs, Barack Obama, ne sont pas « juste trop forts », ce n’est pas inné. Décider de s’améliorer, c’est déjà courageux, mais le plus dur n’est pas de se le dire, c’est de le faire concrètement.

Mon approche, je le répète souvent, est très “sportive ». D’abord, on laisse les slides de côté, et on se focalise sur :

  • Que veut-on obtenir de la conversation ?
  • Quelles sont les 2-3 affirmations qui vous démarquent ?
  • Quels sont les exemples / preuves de ces affirmations ?

 

…et ensuite on articule ceci autour de ce qui depuis la nuit des temps marche le mieux pour soutenir son propos : le storytelling. Il faut raconter une histoire qui donne envie de poursuivre l’échange.

En pratique, comme pour les entraînements sportifs, on fait des répétitions des présentations comme on fait des tours de piste. On prend les chronos, on débriefe sur ce qui marche bien et ce qu’il faut améliorer et on recommence. Les séances peuvent durer 20 minutes comme 1 heure, jusqu’à 3 heures.

La méthode quant à elle est relativement simple. J’enregistre la première et la dernière prise et en général on constate de façon assez flagrante la différence. La dernière prise est systématiquement plus simple, plus claire, plus sincère, et plus dense aussi. C’est très étonnant mais, on peut facilement passer d’une pitch de 15 minutes à un pitch de 3 minutes tout en augmentant la clarté et le détail des contenus partagés.

Je peux accompagner une personne individuellement, et je propose également d’accompagner des personnes en groupe de 4 jusque 8-10 personnes. La méthode ne change pas vraiment, si ce n’est que l’on fait sa présentation à tour de rôle en une minute. On écoute les feedbacks des personnes autour de soi et on recommence.

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Merci pour cet échange, et d’ailleurs on n’a pas parlé de votre aventure entrepreneuriale dans le café. Pour conclure, pourquoi ne vous dédiez vous pas à temps plein au conseil et dans l’autre sens, cette activité de conseil ne perturbe-t-elle pas votre vie d’entrepreneur ?

Ha, au contraire ! Merci de cette question. Une des raisons qui m’a poussé à quitter ma vie ‘corporate’ dans le conseil est que je passais trop de temps dans le même environnement. Même si les clients et problématiques étaient très différents, le niveau et type de dialogue, le type de langage et la façon de présenter les choses était trop homogènes. Et d’ailleurs, quand on est dans les sièges des grands groupes, que l’on soit conseil ou dirigeant, j’ai senti que l’on est trop loin du terrain, du produit, et surtout du client, tout est trop théorique quand on ne se détache pas des chiffres sur des slides. Symétriquement, être entrepreneur, c’est avoir les mains dans le cambouis. On peut avoir du mal à prendre du recul, le risque est de rester le nez dans le guidon.

Ma double vie me permet aujourd’hui d’avoir un peu les deux : la réflexion stratégique dans le storytelling stimulée par des contextes très divers, et la vraie vie au quotidien avec un produit artisanal, omniprésent et pourtant méconnu qu’est le café… what else ?

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